France

Laboratoire de coke exquis au coeur des Laurentides

Un groupe de trafiquants de drogue lié au monde criminel libanais aurait dirigé un laboratoire sophistiqué de cocaïne au cœur des Laurentides dans le plus grand secret.

Ne cherchez pas une plantation de coca au fond d’une impasse à Lahut, vous n’en trouverez pas. La plante utilisée pour produire la cocaïne pousse sous le soleil d’Amérique du Sud, principalement en Colombie, au Pérou et en Bolivie.

Ce qu’une équipe tournante du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a révélé dans un coin isolé des Laurentides au printemps 2017 ressemble plus à un laboratoire conçu pour élever cette drogue dure.

Dans un garage jouxtant la résidence inhabitée de Thomas Gore Mountain, les détectives ont saisi tout un arsenal : cinq séchoirs à cocaïne, une presse hydraulique, une machine à sceller, des moulins, des balances, des moules, divers logos performants et des verres.

Courtoisie photo

Un avion transportant 132 kg de cocaïne devait atterrir dans l’Ohio en mars 2017.

“C’est l’un des [laboratoires les] plus complexe que ce que j’ai vu dans ma carrière », a déclaré Martin Bernard au Tribunal de Saint-Jérôme à l’été 2021.

Le policier aux plus de 20 ans d’expérience a témoigné dans le cadre de l’enquête préliminaire de Joseph Fran. Le Lavallois de 32 ans a été accusé de possession et de trafic de cocaïne, une accusation rare devant les tribunaux québécois.

Photo de Facebook, Joseph Fran

Joseph Fran est accusé de produire du Coca-Cola.

Il sera jugé le mois prochain.

Selon nos sources, Joseph est le plus jeune des quatre frères Fran qui ont été sous les projecteurs de la police dans le cadre du Projet Affliction, qui touche un trafic de drogue à grande échelle.

Bien que plusieurs membres de la famille libanaise aient été observés lors de l’enquête du SPVM, il est le seul à être jugé.

Devant la juge Sophie Lavern, l’enquêteur Bernard a expliqué en détail le procédé complexe qu’utilisait le groupe de trafiquants de drogue pour multiplier la cocaïne.

Communément appelée répression dans le monde criminel, la technique consiste à casser du coke obtenu sous forme de briques et à y ajouter une substance pour augmenter son volume. Le médicament est ensuite reformulé en plusieurs briques et vendu aux principaux distributeurs.

En général, “entre 10 et 15 % de réduction [est ajoutée] pour augmenter les profits », a déclaré Martin Bernard au tribunal.

Dans le cas du laboratoire de Lachute, du mannitol, un complément alimentaire, a notamment été retrouvé sur les lieux.

Lorsque les cartels produisent chacun un kilogramme de briques, ils placent généralement des logos qui garantissent l’origine mais aussi la qualité de la cocaïne aux yeux des acheteurs étrangers.

Ce pourrait être un dauphin, un serpent ou un scorpion, par exemple.

Cependant, dans le laboratoire des Laurentides, la police serait en mesure de trouver des morceaux de Coroplast reproduisant presque parfaitement le logo du cartel.

Pour prétendre que le coke coupé est arrivé tel quel, “ils copient le sceau qui a été fait par les cartels dans le pays d’origine”, a déclaré l’enquêteur Bernard.

Même le nouvel ensemble de poids, composé de plusieurs couches de plastique, a été conçu pour imiter la technique du cartel.

Les détails ont révélé que du caoutchouc noir était également utilisé pour recouvrir certaines briques afin de réduire l’humidité pendant le transport et de masquer les odeurs. “Il a donc été reproduit pour simuler à nouveau l’origine”, a déclaré le chercheur Bernard.

Au cours de l’enquête, qui a duré plusieurs mois, la police a saisi 35 kg de cocaïne. Cette quantité de drogue a une valeur marchande totale d’environ 1,75 million de dollars.

Lors du démantèlement du laboratoire en avril 2017, le SPVM a affirmé dans un communiqué que “les membres de ce réseau agissaient comme fournisseurs de drogue à la mafia italienne et proscrivaient les motocyclistes”.

Photos courtoisie

Cinq personnes ont déjà été condamnées depuis le démantèlement du laboratoire de Lachute. De gauche à droite : Martin Lawson, Michel Jacques, Daniel Poulenc, Jihad Saumaa et Tony George Saumaa.

Les anges de l’enfer et les gangsters savaient-ils que les médicaments qu’ils recevaient étaient de moindre pureté ? Il est impossible de répondre à cette question, qui n’a pas été posée lors de l’enquête préliminaire de Joseph Fran.

Ce qui relie le prévenu de 32 ans au laboratoire de Lachute, c’est la découverte de son ADN dans l’un des trois masques Versaflo retrouvés sur place.

Ce sont des masques hyper complexes, ressemblant à des cagoules, couvrant toute la tête. Ils sont équipés d’une visière et d’un tube situé à l’arrière de la tête pour filtrer l’air de manière optimale. Ce type d’équipement se vend entre 1 500 $ et 2 000 $ la pièce.

L’empreinte du pouce gauche de Fran aurait également été prise sur une balance.

Enfin, les accusés seraient vus par des équipes tournantes dans des dizaines d’affaires avec les coursiers de l’organisation chargés du transport de la cocaïne.

Entre autres, ils se rendaient souvent chez lui, dans une tour d’appartements de luxe à Laval, sacs de sport à la main.

Photo de Pierre-Paul Poulenc

Plusieurs coursiers de l’organisation se rendraient chez lui, cette tour d’appartements de luxe à Laval.

Deux fois, Fran serait apparue dans le laboratoire avec eux.

Fait intéressant, trois des cibles des officiers conduisaient des Honda Fit grises équipées de couvercles magnétiques difficiles à détecter et pratiquement impénétrables.

L’avocat de Joseph Fran a tenté d’expliquer les observations de la police, affirmant que son client et les membres du réseau étaient des amis d’enfance.

“Ce que nous reprochons le plus à M. Fran ici, c’est d’avoir des amis qui sont peut-être trempés dans la circulation. Cela le rend-il coupable ? Pas du tout », me plaide Daniel Roy, espérant que son client sera acquitté.

La juge Sophie Lavern n’était pas d’accord. “Bien que d’autres explications soient possibles, la Cour estime que pour les besoins de l’enquête préliminaire, les éléments de preuve pourraient amener un jury bien informé à rendre un verdict de culpabilité”, a-t-elle conclu.

De cette façon, le magistrat a souscrit à la théorie de la couronne, représentée par moi, Jennifer Lepage, qui prétend que ce réseau de distribution de cocaïne était dirigé par les frères Fran.

Bien que seul l’aîné ait un casier judiciaire – pour possession de biens acquis par le biais du crime – les frères Fran seront considérés par les autorités comme des acteurs importants du monde criminel.

Selon des sources de notre Bureau d’enquête, une cargaison de 132 kg de cocaïne a été saisie à leur intention, saisie dans l’Ohio, une semaine avant le démantèlement du laboratoire de Lachute.

La drogue se trouvait dans un avion qui devait atterrir sur le sol américain en raison de problèmes mécaniques. Piper avait à son bord deux Laurentides au Québec.

Partis des Caraïbes avec une cargaison de coke cachée dans la queue de l’avion, le pilote Sylvain Desjardins et son passager David Ayot ont dû partir pour Windsor, en Ontario.

Photos courtoisie

À son bord se trouvent le pilote Sylvain Desjardins (avec des lunettes sur le dessus) et le passager David Ayot, deux Laurentiens.

Ils ont été condamnés respectivement à 96 et 63 mois de prison aux États-Unis.

– En collaboration avec Nicolas Brasseur et Marc Sandreschi

◆ Cinq personnes sont déjà allées régler leurs comptes avec la justice après la destruction du laboratoire en 2017. Jihad Saumaa et Michel Jacques ont été condamnés à quatre ans…