DAVID NIVIER via AFP Jean-Luc Melenchon et Olivier Fauré à l’Assemblée nationale, le 28 avril 2020.
POLITIQUE – Il y avait cette photo. La seule dont dispose l’AFP, datée du 28 avril 2020. Olivier Fauré, assis sur son banc, cigarette électronique à la main, ce dernier a tendu la main à Jean-Luc Mélenchon comme pour régler une dispute. L’indiscipliné, debout, en arrière, appuyé sur la banquette avant, les bras croisés. “On s’ignorait profondément”, avoue Jean-Luc Mélenchon deux ans plus tard, le 21 juin 2022, dans la buvette de l’Assemblée nationale.
Il vient de raccompagner plus de soixante-dix députés rebelles au Parlement, lui qui a refusé de se représenter. Le vieux loup de la politique peut se reposer devant une bière d’abbaye. “Je ressens une fierté déchirante. J’ai fini le travail”, raconte l’ancien socialiste. S’il a réussi cet exploit de passer de 17 députés à 75, c’est grâce à l’accord signé quelques semaines plus tôt, début mai.
La nouvelle Union sociale écologique populaire, née en treize jours et treize nuits, comprenait le Parti socialiste. Un fait politique important, après tant d’années de haine et d’ignorance entre la formation de Mélenchon, lui-même issu de ses rangs, et le parti de la rose, mis de côté par les Insoumis après les années Hollande. Tout s’est passé fin avril dans un “port” près de la gare de l’Est à Paris.
Nous ne sommes pas des perdrix de l’année. Il y avait une méfiance mutuelle, des intérêts communs et différents. Olivier Fauré, premier secrétaire du PS
Les deux hommes se retrouvent face à face pour déjeuner au “boui boui” de la gare de l’Est, comme le dit le premier secrétaire. « Nous étions stationnés au front, ce qui signifiait que nous ne pouvions pas être isolés. Ça n’aurait pas été responsable de moi si je n’avais pas vu l’homme”, explique Mélenchon en retravaillant le film.
D’abord, ils s’espionnent. « Nous ne sommes pas des perdrix de l’année. Il y avait forcément de la méfiance mutuelle, des intérêts communs et différents”, analyse Olivier Faure. “Je l’ai regardé en me disant : ‘J’ai toujours déliré, mais maintenant il est comme moi : il n’a pas le choix. C’était très risqué pour nous deux, mais encore plus pour lui”, a condensé Mélenchon. “Il me teste, essaie de comprendre, de savoir où je vais”, explique Faure, qui dit l’avoir ensuite convaincu qu'”il y a quelque chose avec lequel on peut jouer ensemble”. “De temps en temps, il me faisait des commentaires sur ma façon de parler, mais pendant cette longue discussion, même si nous n’avions pas les mêmes codes, il était extrêmement ouvert sur la méthode”, conclut Melenchon.
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La conversation s’éternisait jusqu’au milieu de l’après-midi. “Nous avons réécrit l’histoire de la gauche ensemble. Sans revenir sur Jaurès, nous avons essayé de comprendre les crises que nous avions vécues, comment nous allions retrouver les Français dans leur diversité. C’était passionnant comme échange”, avoue Olivier Fauré.
Olivier Faure a agi en leader. Il savait où il allait. Jean-Luc Mélenchon, dirigeant de La France Insoumise.
L’insurgé a voulu s’assurer que le socialiste était “prêt à rompre” avec le PS avant et qu’il ne se “casserait pas les jambes avec des histoires d’équilibres internes”. Foret lui donne ces garanties. “Il s’est comporté comme un chef”, loue Jean-Luc Mélenchon, “Il savait où il allait.” « C’est difficile à rationaliser, c’est instinctif. Ressent-on la sincérité de chacun ?” rapporte le chef de la police. La confiance a été restaurée.
Fauré est persuadé que Mélenchon a voulu “fermer la chaîne avec le parti qu’il aimait”, le PS, dont il était membre depuis trente ans. “Ce que nous avons en commun, c’est que nous sommes tous les deux des militants avant d’être candidats aux élections. Pour nous, l’idéologie, les actions de combat, l’orientation politique sont aussi importantes que la conquête du pouvoir”, notait le socialiste dans son cabinet de premier secrétaire le 13 juin.
SAMEER AL-DOUMY via Getty ImagesJean-Luc Mélenchon et Olivier Faure, le 8 juin 2022 à Caen.
Depuis, une véritable idylle se noue entre deux hommes, une amitié sentimentale. Alors que leurs troupes négocient l’accord NUPES, ils s’envoient des SMS pour commenter et se féliciter des progrès. Sur toute tribune générale lors des meetings de campagne des législatives de Mélenchon, il y a peu à dire sur Fauré. “Ça va encore s’aggraver avec lui”, s’amuse le rebelle sur scène en s’attaquant à la politique d’Emmanuel Macron. Le fait applaudir et attrape son épaule chaque fois qu’il en a l’occasion. “C’est à moi et à Fauré !”, avait-il prévenu Macroni lors du dernier meeting à Caen le 8 juillet.
Jusqu’au lendemain soir du premier tour des législatives, où Mélenchon interrompt un entretien avec le Premier secrétaire par un “Bonjour Olivier !” très perceptible. Il le prend par l’épaule et lui présente ses troupes. En guise de spectacle…
« Bonjour Olivier ! »
Jean-Luc Mélenchon (LFI-#NUPES) accueille Olivier Fauré (PS-#NUPES). #Législatives2022 @LeMediaTVpic.twitter.com/zybyZKRlY3
– Élections 2022 (@2022Elections) 12 juin 2022
Au risque de provoquer des jalousies chez les désobéissants ? Dans des conversations privées, certains socialistes ont noté qu’Olivier Fauré était parfois gêné par tous ces compliments et inquiet d’éventuelles irritations de la part de lieutenants fidèles et indisciplinés.
Il n’y a pas de favoris. Olivier Fauré est un partenaire fidèle. Manuel Bompard, député rebelle
Publiquement, pas du tout. “On aime beaucoup, c’est une réinvention”, assure Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et leader d’opinion de la province de Mélenchon. “Je me sens soulagé. Il a pris une décision courageuse et se sent serein”, continue-t-il à marquer le trentenaire, le jour de son élection à l’Assemblée nationale. Il lui assure : « Il n’y a pas de cher. C’est un partenaire fidèle.”
Il n’y a pas non plus d’amertume dans les rangs socialistes. Le jour de la rentrée des députés du NUPES, Boris Vallo, futur président du groupe, sourit lorsqu’on lui pose la question. “C’est vrai, qu’est-ce que tu veux, le coup de foudre, ça ne s’explique pas !”.
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