Au tribunal de Paris,
A chaque fois c’est le même vertige. D’un côté, il y a les propos, haineux et violents, publiés sous des pseudonymes sur les réseaux sociaux pour “injury” et “injury”. Et, d’autre part, ces silhouettes maladroites, aux voix hésitantes lorsqu’elles arrivent au bar, une fois démasquées. L’audience devant la 24e formation du Tribunal de Paris ce mercredi a encore une fois brouillé cette distinction, entretenue à tort par de nombreux internautes, entre “réel” et “virtuel”.
Pour les cinq accusés, renvoyés devant la justice pour menaces de mort et leur implication dans une attaque numérique contre l’ancien journaliste Nicolas Hennen, la réalité s’est effondrée à leur porte à l’automne après une convocation de la police. Trois ans plus tôt, en février 2019, ces trois hommes et deux femmes âgés de 21 à 56 ans postaient sur Twitter des messages sur la haine de Nicolas Hennen. Au total, cet ancien reporter militaire, détenu depuis des mois par l’Etat islamique en Syrie, a reçu près de 20 000 signalements injurieux.
“Marée de violence”
Présent à l’audience de mercredi, Nicolas Henin a décrit la genèse de la « marée de violence ». Inscrit sur Twitter depuis 2011, l’homme a gagné en visibilité en ligne à son retour de Raqqa après dix mois de captivité. “Mais il ne s’agissait plus de faire un reportage sur la guerre. J’avais déjà trop fait souffrir ma famille”, a-t-il confié à la barre. Puis l’ancien journaliste a décidé de mettre à profit son expérience dans le domaine du terrorisme, a participé à des programmes de “séparation” avec des détenus radicalisés et a publié plusieurs essais sur le sujet.
Parallèlement, il mène la “chasse aux contenus djihadistes” sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter. Pourtant, le 31 janvier 2019, son attention est attirée sur un message publié par le père de la victime de l’attentat du Bataclan, Patrick Jardin. Très actif dans ce réseau, l’homme endeuillé a appelé à l’exécution de 130 jihadistes français détenus en Syrie après la chute de l’Etat islamique. En réponse aux propos du ministre de la Justice de l’époque, qui affirmait que 75 % de ces citoyens sont « des enfants de moins de 7 ans », Patrick Giardine a publié le communiqué suivant : « Alors tuons leurs enfants, et il faut commencer par là. »
Excuses et “mots très mal choisis”
Choqué par ce “flux de haine”, le journaliste Nicolas Ennen a appelé les internautes à rendre compte de ce tweet. Une consigne apparemment entendue de ses abonnés après que le compte de Patrick Jardin a été suspendu dans la foulée par Twitter. Plusieurs personnalités d’extrême droite très influentes sur le net, comme Damien Rio, Jean Messiah ou Gilbert Collard, seront ravies par lui. Après ces réactions, une vague de harcèlement va s’emparer de Nicolas Henin : « J’ai vu passer des photos de mes enfants, des informations personnelles me concernant ont été publiées, j’ai été submergé par la peur physique. Mon sommeil était très perturbé et j’avais des moments d’anxiété. Prudent, l’ancien reporter a archivé des dizaines de milliers de messages haineux à son encontre et a porté plainte contre X quelques jours plus tard.
Parmi les tweets adressés à la justice, on retrouve celui posté par le compte @Le_Chretien : “Putain, quel fils de pute. C’est lui qui mérite l’exécution. “Derrière le surnom, les enquêteurs ont pu identifier Matisse C. Il est le plus jeune des accusés et le seul – avec Dean Natalie T. – à se déplacer à l’audience ce mercredi. Chemise bleu nuit et lunettes sur le nez, cet étudiant d’une prestigieuse école de commerce a tenu à s’adresser directement à Nicolas Henin dès le début de l’audience : “Je suis content qu’il soit là pour lui présenter ses excuses. »
Matisse S. a alors 18 ans et subit la « pression » de la « prépa » : « Mais je ne dis pas ça pour me justifier ! Juste pour expliquer », a-t-il paraphrasé. “J’étais spontané, en colère (…) Je ne pensais pas qu’il lirait mon tweet”, a expliqué le jeune homme, reconnaissant “des mots très mal choisis” et regrettant “un manque de maturité”. Sans nier être l’auteur de ce message, Mathis S. affirme qu’il ne s’est pas rendu compte que sa publication s’inscrivait dans un harcèlement collectif.
Une peine de deux à trois mois de prison avec sursis est requise
Accroupie sur le strapontin, les bras croisés dans le dos, Natalie T. a eu du mal à s’excuser. Pourtant, son message a surtout été relevé par Nicolas Henin. Sous le pseudonyme de cet employé de 56 ans, il a publié cette tirade : “Je veux que la prochaine victime des terroristes soit ton enfant (…) Je veux qu’il sache avant sa mort que son père informateur aura de la compassion pour ses tueurs. Abonnée au compte de Patrick Jardin, elle a expliqué avoir été “blessée” par les propos de Nicolas Enin à propos de ce père touché par les attentats terroristes. “J’avais l’impression qu’il ne comprenait pas sa douleur”, a-t-elle déclaré.
« Alors pourquoi ne lui as-tu rien dit ? « Le président a dit. “Je ne pensais pas (…) Je suis désolée pour la forme, je pense que je le dirais différemment aujourd’hui, moins violemment”, balbutie-t-elle. Un discours qui n’a pas convaincu le procureur : « Vous êtes désolé pour la forme, mais pas tant pour le fond et il faut tendre un bâton pour entendre des excuses ! Appelant le tribunal à condamner tous les prévenus pour harcèlement en meute, le magistrat a requis à leur encontre deux à trois mois de prison avec sursis.
Dans sa plaidoirie, l’avocat de Nicolas Enin, Me Eric Moren, a appelé le tribunal à prononcer une “peine de responsabilité”. Qualifiant le cyberharcèlement de “crime lâche”, l’avocat pénaliste a rappelé que son client avait été condamné à dix jours d’ITT (incapacité temporaire) à l’issue de cette attaque numérique. La décision sera prise le 15 juin.
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