Alors que la France élit son nouveau chef de l’Etat dans trois jours, certains électeurs de Melanchon peinent à faire barrage à l’extrême droite. Chez les désobéissants, sans condamnation ni même consigne dans un cycle : « il n’y a pas de vote pour Le Pen ».
Le téléphone pleure. A l’autre bout du fil, Romain*, 29 ans, craque. A trois jours du premier tour, ce mélenchoniste convaincu n’arrive toujours pas à choisir. La pression autour de lui monte, les réprimandes aussi. A partir d’aujourd’hui, il ne parlera à personne de ses hésitations jusqu’à dimanche.
“Je n’entends plus mon entourage suggérer que je suis peut-être responsable de l’accession de l’extrême droite au pouvoir. Si cela s’était produit et que j’avais voté blanc, je me serais suffisamment blâmé”, a-t-il confié, la voix brisée.
Comme lui, comme Irène, Alban et Audrey, de nombreux électeurs de l’Union sont perdus ou dégoûtés. Pour les aider à se calmer, rien n’y fait. Ni la concertation organisée par la France insoumise, ni le débat d’entre-deux tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ni l’échéance du second tour de la prochaine élection présidentielle.
“Malgré le risque de l’extrême droite, j’ai un profond rejet de Macron, ce qui m’empêche encore d’accepter l’évidence que j’ai voté pour lui”, a déclaré Romain.
“perdu”
La voix claire et chaleureuse d’Audrey ne cache pas son amertume et sa stupeur. Cette jeune enseignante d’un lycée professionnel du Val de Marne résume ainsi son dilemme : « C’est difficile de voter la destruction de son propre travail. Depuis 10 ans qu’elle a le droit de vote, la lutte contre l’extrême droite a toujours été évidente. Sauf cette fois.
“D’habitude, le barrage républicain instinctif n’est plus comme ça. Je trouve cela embarrassant, désespéré et surtout très triste. J’ai déjà détesté Macron au premier tour de 2017. Il s’est avéré pire que je ne le pensais, sur sa façon de rejeter les pauvres et tous ceux qui n’avaient pas la même manière que lui de réussir dans la vie. Il m’a embêté à réduire drastiquement nos fonds pendant 5 ans pour enseigner aux jeunes les valeurs de citoyenneté et de démocratie », raconte le jeune professeur de français.
Si j’hésite encore aujourd’hui, c’est parce que j’ai l’impression que le vote de Macron contre Le Pen ne fait que reporter la catastrophe”, a déclaré Audrey, qui a encore la réforme de l’école professionnelle qui a supprimé les classes d’enseignement général au profit de l’adaptation”. à la vie professionnelle”.
Le débat, presque trentenaire, a suivi de près. “J’attendais de Macron une forme de respect de la jeunesse. Et je ne l’ai jamais ressenti”, se plaint Audrey. Elle explique : “Les approximations que j’avais dans les lycées professionnels ne m’étaient pas possibles. Et surtout, tous les sujets intouchés qui semblent pourtant essentiels pour assurer l’avenir des jeunes : les services sociaux publics, les vacances à certains postes clés de l’enseignement, pas un mot sur l’état de l’école… »
“Accord de confiance violé”
Pour Irène, c’est le passage du débat environnemental qui l’a bouleversée. “L’environnement est envisagé presque uniquement sous l’angle du mix énergétique. Rien du modèle agricole, rien des autres frontières planétaires… ! Et rien sur la sobriété, la grande absence de ce débat ! Manger moins, la restriction est impopulaire, on ne choisit pas pour elle, donc on cristallise le débat environnemental pour le match éolien-nucléaire, c’est pratique », ironise la jeune femme de 26 ans.
Chargée de développement dans une association qui soutient des projets citoyens, Irène a beaucoup hésité et était très stressée. Il fait partie des Paumé.es de ma communauté électorale, une plateforme qui veut éclairer les électeurs indécis. Ces dernières semaines, le site a connu un pic de fréquentation avec plusieurs milliers de visites dès le premier tour. Finalement, la jeune femme a décidé de voter pour Macron. Un vote “non”, explique celui qui n’a plus aucune confiance dans le candidat à la présidentielle et son projet.
“En ce qui concerne l’environnement, l’accord de confiance avec En Marche a été violé. Mais Marine Le Pen me semble encore moins compétente que lui. Je vais bloquer et voter Macron, mais c’est déchirant. J’y vais en pleurant, en vomissant… Parce qu’il refuse de prendre en compte les choses qui m’inquiètent le plus à long terme”, regrette-t-elle amèrement.
Un choix qu’Alban ne peut pas faire, justement à cause de l’environnement. “Nous avons un très bref souvenir de ce qui s’est passé pendant cinq ans. Macron n’a absolument rien fait de structurel pour inverser la tendance au réchauffement climatique », a déclaré le consultant, consultant en environnement.
“J’ai fait des allers-retours… D’abord c’était ‘je ne vote pas’, ensuite je serai obligé de voter Macron”, a-t-il dit, avant de conclure : “Sa suffisance dans le débat sur ‘le plateau d’hier’ est de retour”. Si je vois qu’il est loin devant dans les derniers sondages, je ne voterai pas dimanche.
Contourner la difficulté en donnant sa voix à un inconnu ?
Un chemin que Romain pourrait suivre ? Avocat d’une association de défense des droits de l’homme, il ne compte plus les discussions animées et les tensions provoquées par les hésitations de mélenchonistes comme lui. Dans leur travail, d’autres appellent pour la plupart explicitement au blocage. Si l’abstinence est moins évidente pour lui à trois jours du premier tour qu’au soir du premier, il a “presque une incapacité psychologique à voter pour Macron”.
“Cela fait cinq ans que j’ai vu les conséquences concrètes catastrophiques de sa politique de maintien de l’ordre. La destruction du camp d’Oberville, la poursuite des migrants pour les chasser de Paris, les tentes arrachées, les rondes nocturnes, les violences policières, la discrimination des musulmans dans sa loi anti-séparatisme… Macron persécute tous les démunis : les pauvres , les chômeurs, les chômeurs… », raconte le presque trentenaire, qui avoue ne pas comprendre comment le préfet de police Didier Laleman peut encore être en poste.
Pour contourner sa quasi incapacité à voter pour Macron, Romain rechigne à faire comme certains et à donner sa voix à un étranger. Ensuite, son colocataire autrichien votera pour Macron à la place. “En même temps, ça m’empêcherait de voter blanc et politique pour moi, le vote blanc a aussi du sens”, a-t-il dit.
“Ne vous laissez pas berner par la colère”
Chez les Insoumis, nous accueillons ces hésitations avec bienveillance et vous demandons de ne pas juger. La consultation du parti, rendue publique mardi, a donné un vote blanc et s’est abstenu, le premier choix des partisans de Jean-Luc Melanchon pour le second tour.
Sur les 215 292 participants au vote, 66,61 % ne voteront pas pour Emmanuel Macron. “On ne peut pas leur en vouloir”, a déclaré Alexis Corbier. Son coéquipier, Eric Cockerell, a confirmé : « Si les résultats sont inférieurs à la dernière fois, c’est la faute à Macron, qui a tout fait pour se mettre dans cette position.
Pourtant, le député de la première circonscription 93 relativise les résultats de cette consultation : « Ils ne me surprennent pas. Ils sont comparables à ceux d’il y a cinq ans. En 2017, après tout, plus de la moitié ont finalement voté pour Macron.
Alexis Corbier plaide pour la pacification. “Il ne faut pas être divisé sur cette histoire du second tour. Il y a la déception de ne pas être allé loin et en même temps il y a un sentiment de fierté dans la force accumulée. Cette force est intacte. Il faut regarder vers l’avenir », a-t-il dit, rivé à l’élection législative.
“Il n’y a rien à avoir honte de notre lutte contre l’extrême droite.”
Si les abstentions sont bien comprises, la consigne reste ferme, comme répétée à cinq reprises par la dirigeante au soir du premier tour : « aucun vote ne doit être rendu à Marine Le Pen ». “Quand on est populaire, quand on est raciste, on n’a pas vraiment le choix”, explique Manon Aubrey. “Elle ment, ne tombez pas dans ce piège”, a déclaré Alexis Corbier à LCI vendredi dernier. “Macron et Le Pen, ce n’est pas la même chose”, a écrit Jean-Luc Mélenchon dans une lettre après une consultation, qui en a rajouté une couche mardi sur notre antenne.
Et ces mélenchonistes qui votent pour le Rassemblement national ? Selon une étude récente d’Ipsos-Sopra Steria, en partenariat avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès pour Le monde, ils sont 19% à voter pour le candidat. Au sujet de ces voix, les rebelles se défendent contre tout manque de clarté, “nous n’aurons pas honte de notre combat contre l’extrême droite”, a déclaré Manon Aubrey. “Alors la situation dépend de chacun.” L’eurodéputé a fait son choix pour dimanche.
D’ici là, “je n’arrête pas de rappeler à tous ceux que j’ai rencontrés pourquoi Marine Le Pen ne devrait pas être votée”, conclut Eric Cockerell. Quant au dirigeant, il se défend de toute responsabilité : « la mienne est de soutenir un bloc de 11 millions de personnes, qui devrait devenir 12 ou 13 millions, ou en tout cas le premier bloc du pays. Je ne vois pas le nom de ce que j’ai à leur dire “faites ceci”, “choisissez ceci”… Je leur dis : ne votez pas pour elle”, a-t-il confirmé mardi…
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